Plusieurs semaines durant, nous travaillons dans les rangées de pommiers Gala, McIntosh, Fuji et autres Red Delicious. Certains arbres nous toisent de toute leur hauteur, narguant nos échelles souvent trop courtes et obligeant nos corps à gagner en souplesse. Cependant, lorsque les branches de certains d’entre eux sont suffisamment solides, je me permets de grimper jusqu’à leur sommet et d’admirer une vue fantastique sur l’Okanagan. Et de contempler ce travail titanesque réalisé par les ancêtres de mon employeur : cette masse verte au milieu d’un désert ocre et sec, cette vallée luxuriante encadrée de collines de sable rocailleuses, cette fraîcheur humaine face à la dureté naturelle.
Un matin autour du "feu" |
Mais une malheureuse mésaventure viendra entamer l’un de
nos dîners. Nos prédécesseurs nous ayant légué de nombreuses victuailles, nous
nous servons à cœur joie : riz et pâtes, épices, sauces,… Un soir, nous
décidons de préparer du riz. Renato
choisissant un mode de préparation différent du mien, je fais griller ma part,
en ajoutant du curry. Me délectant et parvenant à la fin de mon repas, mon
confrère s’exclame : « Oh non, il y a des vers dans le riz !» Ne
me restant que deux ou trois bouchées, je me dépêche de terminer mon plat,
avant que le message ne franchisse toutes les étapes de la transmission
neuronale, et ne se transforme en dégoût de l’aliment et de moi-même. Je me
lève ensuite et viens examiner la casserole, puis le sachet de riz. J’y vois effectivement
de très nombreux petits asticots, de la taille et de la couleur d’un grain de
riz. Infect et si repoussant ! Le pire demeure définitivement le fait que nous
avons préparé ce riz au moins trois fois auparavant, sans même nous rendre
compte de la gravité de la situation… Enfin, le ver est une excellente source
de protéines, dit-on…
Une vallée verte au Nord d'un désert |
Après quelques semaines de cueillette chez notre ami
portugais, récoltant l’intégralité de sa production, l’heure vient pour nous de
trouver de nouveaux contrats. Fort gentiment, Rick nous propose de rester chez
lui, mais cette fois en lui réglant un loyer journalier, qui sera fixé à 5$
(divisé par deux personnes) pour régler les consommations courantes. Nous nous
mettons en route vers les vergers des alentours. Nous suivons les chemins
sinueux tracés au milieu de cette végétation dense bien que récente, nous
arrêtant çà et là pour discuter avec des fermiers, leur demandant parfois
conseil. Durant ces quêtes, une phrase devient récurrente, voire même
automatique : « hello ! Are you looking for workers ? »
Au bout de quelques heures, nous rencontrons un jeune
ménage d’Indiens, d’origine punjabi eux également : Abjit et son épouse Grhalakshmi . Ils habitent
une ravissante maison sur les flancs ouest de la vallée, quelques kilomètres au
Sud de la ville d’Oliver. Sont plantés dans leur jardin une trentaine de pommiers,
principalement des Galas. A la différence de chez Rick, les arbres sont
extrêmement faciles à atteindre : leur pousse a été maîtrisée à l’aide d’un
tuteur, restreignant le diamètre à moins d’un mètre, et rendant le « picking »
bien plus efficace, puisque supprimant une grande partie des déplacements au
sol. L’homme nous propose de débuter le travail quelques jours plus tard. Par
effet d’aubaine, nos amis Aymeric et Alice sont de passage à Vancouver pour une
semaine.
Nous troquons donc nos loques de travailleurs trouées et
sales contre des vêtements de touristes propres et élégants, et avalons dès le
lendemain les quelques kilomètres nous séparant de « Tha Couv »… 400
bornes, à l’échelle canadienne, dieu que c’est peu !
Des pommes Fuji |